Les grumes ou bois débité.
Le bois est travaillé vert.
 |
Le hêtre, du bois pour les sabots bretons. |
Dans
les années qui précèdent la Seconde Guerre Mondiale, les gens se demandaient entre
eux de quel bois étaient chaussés, car, comme on le sait, les
chaussures appelées « sabots » étaient en bois. Pour
fabriquer cette chaussure paysanne, les essences étaient aussi variées
que les régions. Chaque région utilisait le bois propre à son
terroir : frêne, érable, bouleau, merisier, peuplier voire
pin. Ces matériaux étaient idéaux pour fabriquer les chaussures en
bois ; mais le bois préféré des sabotiers en Bretagne était
sans aucun doute le hêtre, un arbre très abondant et répandu en
forêt. Le hêtre, qui était appelé aussi fayard ou futeau,
est un arbre qui met entre 80 à 100 années pour devenir adulte mûr,
et utile donc pour les sabotiers. Les grumes ou bois débité peuvent
se conserver jusqu'à un an.
Les Aubry ont fait des sabots
pendant 3 générations à La Chèze.
 |
Dessin du morceau de bois à découper. |
Chaque
bois a ses qualités et ses défauts. Les sabots de hêtre, par
exemple, ne supportent bien l'alternance humide-sec et ont tendance à
fendre à cause des décalages de température. La densité du bois
varie selon les espèces. Et un aspect important à tenir compte pour
le calcul de la pointure est le retrait : lors
du séchage, le bois rétrécie de 2 à 3 mm.
Vue de l'atelier d'Amedé Aubry.
 |
Atelier modeste, mais suffisant pour un travail de qualité. |
Le
bois tendre du peuplier facilite l'incrustation du sable et du
gravier ; un avantage, car cette propriété augmente sa dureté
et empêche de glisser. Le sabot de peuplier était donc utilisé
pour chausser les marins-pêcheurs et mariniers, les fendeurs et
lamineurs. Les tailleurs de pierre en utilisaient en moyenne 3 à 4
paires par an. Pour ces travailleurs dans les carrières, leurs
chaussures en bois étaient fabriquées plus épais afin de pouvoir
résister aux morsures du granit.
Le billot est fendu en quatre quarts.
 |
Scie à ruban. |
Les fendeurs d'ardoise portaient
des sabots particuliers dont la face interne était épaisse et
verticale afin de permettre le blocage du schiste entre les deux
sabots à la manière d'un étau. Ces sabots de labeur étaient
taillés dans la partie du tronc la plus proche des racines, réputée
plus dure que la partie du haut du tronc. De même que les hêtres
des champs sont plus durs et lourds que ceux des forêts, le poids
du bois était une question très importante étant donné que les
personnes ne quittaient pas leurs sabots de la journée. Le frêne
donnait des sabots plus résistants à l'eau pour les paysans et le
merisier des sabots vernis pour les dames.
Scie à ruban pour le découpage du bois.
Ces machines datent des années 1950.
Tout
artisant, bien entendu, faisait de son mieux pour présenter son
travail bien fait, tout en suivant pendant la fabrication des sabots
une chronologie bien précise. Tout d'abord, le dimanche était
souvent le jour réservé au choix du bois sur pied et son cubage.
Les sabotiers se rendaient en campagne sur l'invitation d'un
cultivateur désirant vendre son bois, ou en forêt pour examiner
l'état d'un lot à vendre. A l'abattage, on prenait garde aux culées
éjobelées c'est-à-dire,
celles dont les racines formaient des contreforts saillants et on
coupait au-dessus.
La première opération est le tronçonnage au passe-partout, ou
découpe de billots dont la longueur varie en fonction de la taille
du sabot prévu et aussi de la grosseur du tronc.
En second, il faut fendre le billot en quatre quartiers minimum en
tenant compte des fentes naturelles du bois.
Préparation de la tailleuse.
Deux quarts seront taillés d'après un modèle
installé dans la machine.
 |
Machine à dégrossir. |
A l'époque, venait ensuite l'ébauche ou dégrossi à la hache du sabotier, outil
à lame recourbée, à manche court terminé par une loupe de bois
permettant de poser l'outil sur la hanche lors du travail. Cet outil
existait en option droitier ou gaucher. Aujourd'hui, suivant un modèle installé dans la machine, c'est la tailleuse qui dégrossi le sabot par deux.
Détail de la tailleuse en plein travail.
Le modèle est à droite.
 |
Machine à dégrossir. |
Lors du dégrossi, on
détermine déjà le sabot gauche du droit en veillant à ce que
l'écorce soit à l'intérieur et le cœur à l'extérieur. Il
faut avoir le coup d'oeil car si les dimensions sont les mêmes
pour les deux pieds, elles n'en sont pas moins inversées. On
affine l'extérieur avec le paroir et le talon à l'aide de la
gouge.
Les sabots sont prêts à être creusés.
 |
Les deux paires de sabots ont été dégrossis. |
Aujourd'hui, pour creuser le sabot on utilise une machine à creuser appelée creuseuse. Auparavant, pour ce faire, on utilisait d'abord la vrille puis des cuillers de
différents tailles. L'intérieur du talon était creusé au boutoir.
Enfin, la semelle intérieure était aplanie à la rouane. Les femmes
effectuaient parfois ce travail appelé la creuse.
Il reste à percer un petit trou dans chaque sabot à la percette
pour lier la paire. C'est ensuite le moment du séchage pendant un ou
deux jours dans un séchoir à claies suspendu au-dessus du feu de
copeaux.
D'après un modèle fait à la main placé au milieu, la machine
creuse les deux autres sabots.
 |
Creuseuse. |
Dès
que le bois blanchit, il est prêt pour la finition. Cette opération, appelée la
pare, était souvent
l'oeuvre des femmes. A cheval sur un chevalet, elles bloquaient le
sabot entre une cheville de bois et leur ventre, puis, à l'aide d'un
grattoir à fil retourné, elles lissaient le bois.
Sabots vernis prêts à être utilisés.
Pour
terminer, chaque artisan dessine des motifs décoratifs à la
rainette sans oublier
la rainure profonde de 2 à 3 mm qui ceinture le cou-de-pied pour
tendre le plëyon :
fil de fer trempé destiné à éviter la fente du bois et clouté à
ses deux extrémités.
 |
Une heure suffit pour faire une paire de sabots. |
Les
sabots sont ensuite stockés en piles deux mois environ ou un été, à l'ombre et loin des courants d'air ; car le vent halite,
fait hâler ou noircir le bois.
Pour
expédier les sabots, la mesure utilisée était la gaulée : soit dix paires de sabots. Une
planchette supportait deux gaules verticales chevillées où étaient enfilées à cheval les paires de sabots en position opposée talon
dans talon ; une seconde planchette coiffait l'ensemble ficelé. La gaulée pouvait être vendue au même prix mais avec des
quantités différentes selon les tailles.
Pour
protéger cette chaussure en bois contre les intempéries, dans le
cas du sabot breton, tout bois pouvait s'utiliser avec des chaussons
de feutre à l'intérieur ; très souvent on se contentait aussi
de mettre un peu de paille. Le dessous était clouté de maillettes,
clous très courts à grosses têtes disposés sur quelques rangées
sous la semelle, mais jamais au milieu pour éviter la fente du bois.
Pendant la guerre, les maillettes ne furent plus fabriquées et
furent remplacées par des crampons ferrés provenant des usines de
chaussures de Fougères, en Ille-et-Vilaine. Puis, avec des semelles caoutchouc moins bruyantes. Le sabot demi-couvert
comportait une bride coussin en cuir enveloppant le cou-de-pied et
fixée sur les côtés à l'aide de pointes fines. Les brides étaient
fabriquées en Bretagne.
La
taille des sabots se mesure en pouces à l'intérieur à l'aide
d'une règle graduée: la bauge : de 3 pouces ½ pour les bébés à 9 pouces cu plus
pour les adultes.
Les sabots de bébé comportent une talonnette en cuir fixée à
l'intérieur du talon et s'élevant au-dessus de façon à former une
tige de botte montante lacée de la cheville.
Finition de la pointe au paroir.
Les
sabots sont souvent teintés en noir, brun ou en orange pâle,
puis cirés ou parfois vernis. La
profession de sabotier exige aussi des goûts artistiques, surtout
pour la finition du sabot. La femme du sabotier donnait les touches
finales à la décoration et à l'application du vernis. Elles portaient les sabots découverts appelés claques
beaucoup plus légers et élégants, aussi appelés galoches ou
Marie-Christine. Certains sabots étaient faits sur
mesure pour les pieds déformés. Ils étaient modifiés à la
demande. Un logement était creusait pour un durillon ou pour des doigts
de pieds superposés.
Un
sabotier pouvait fabriquer trois à quatre paires de sabots à la
main par jour. Le travail était organisé à la
semaine. Le lundi : tronçonnage des billots et fente des
quartiers ; mardi : dégrossi et rondi,
etc. Cependant, dans les années trente, des machines firent leur
apparition, transformant lentement les anciens gestes. Après la
guerre, la mécanisation s'est généralisée.
 |
Le sabotier faisait à la main 3 à 4 paires de sabots par jour. |
Aujourd'hui, les sabotiers n'habitent plus la forêt, et les sabots à peine traversent plus les chemins de Bretagne, et non plus sur les
sols en terre battue des maisons des années d'après-guerre.
Séchage des sabots au feu de copeaux.
Les habitants ont troqué leurs sabots ou galoches contre des
chaussures moins rudes au pied. Restent quelques inconditionnels qui
préfèrent acheter vingt paires de sabots à leur taille pour que
l'ouvrage soit rentable plutôt que de marcher en bottes ou tous
autres godillots.
Amedé Aubry prépare avec soin
sa gaulée qui sera expédiée.
 |
Séchage, vernissage, décoration... |
Bien que les sabots soient toujours utilisés dans certains occasions aujourd'hui, les sabotiers travaillent à présent beaucoup plus pour les touristes et
diversifient les objets en bois qu'ils proposent afin de ne pas
devenir eux-mêmes des « va-nus-pieds ».