vendredi 12 mai 2023

Le chaos de Huelgoät

 

 


 LE CHAOS D'HUELGOAT

Le chaos d'Huelgoat et les impressions de la visite de Jacques Cambry dans le Finistère au XVIIIè.

Le lorientais Jacques Cambry, fils d'ingénieur naval né en 1749, parcourut toute l'Europe,  fréquenta des sociétés secrètes et devint prêtre pendant quelques années. Puis, il fut le précepteur pour Claude Denis Dodun, directeur de la Compagnie des Indes. 

Receveur général des États de Bretagne, procureur de la ville de Lorient en 1792 et président du district de Quimperlé en 1794, après la Révolution, il va parcourir en 1794-1795 le Finistère dans le but de rapporter son patrimoine artistique. Il va visiter les dépôts de biens confisqués à la noblesse et aux couvents et rédigera un dossier qui sera publié en 1799.




De cette visite, Jacques Cambry a écrit un récit, Voyage dans le Finistère ou État de ce département en 1794 et 1795, exprimant son expérience et les espoirs des ses habitants qu'il a rencontrés dans les villes. Ces Finistériens partagent avec Cambry leur l'intimité dans leurs foyers et lui font part de leurs sentiments et de leur mode de vie. Comme un reporter, il devient témoin direct de l’état de la société bretonne pendant les premiers temps de la République.  

Élevé dans une culture classique, Cambry rédigera ses observations pour ce monde nouveau de la République qui vient de naître. Son témoignage est le produit d'un esprit observateur, curieux et scrupuleux, visant en particulier les habitants qu'il rencontre, leur histoire et la langue bretonne qui est parlée dans les lieux qu’il parcourt. Voici quelques impressions de sa visite autour de quelques images du chaos d'Huelgoat.




"Le Huelgoat était une ville murée : les Ducs y possédaient un château fort ; la forêt qui porte son nom était jadis d'une étendue prodigieuse dit Ôgée ; « puisque François premier, dans une ordonnance des eaux et forêts, rendue le 12 août 1545, prescrit d'en faire la coupe en 50 fois différentes ».

J'avais vu, j'avais traversé toutes les communes du district de Carhaix. Cléden, Saint-Hernin, Plonnèves du Faou.

Cléden ; couvert de coteaux, de montagnes, terrains pierreux peu cultivé.

Saint-Hernin ; riche en prairies, pays riant très agréable, couvert d'arbres et de buissons, coupé par de jolis vallons.

Plonnéves du Faou, qui ne le cède en rien à Saint-Hernin; terrain couvert d'arbres fruitiers.

Je quittai le district de Carhaix, et par le chemin que j'avais eu le malheur de faire une première fois. Je revins à Morlaix ; le seul objet qui fixa mes regards dans cette route détestable, fut une chapelle ruinée, entourée de vieux ifs dont les sommets sont mangés par les vents ; il n'est pas de paysagiste qui ne la dessinât sur ses tablettes : les arbres de ces contrées s'inclinent tous vers le nord-est ; les vents du sud-ouest y dominent avec fureur, aucun arbre ne s'y déploie avec la force, la beauté, la richesse qu'il obtient dans les vallons et dans les bois ; la chapelle dont je viens de parler, et les troncs vénérables qui l'entourent ne sont pas éloignés de la commune de Squiriou." [Jacques Cambry]




La rivière qui traverse la ville d'Huelgoat est l’Argent, où se forme un Chaos d'énormes rochers granitiques aux formes rondes et lisses, invraisemblables et capricieuses aidant à élargir cet esprit légendaire.

"Nous nous rendîmes à la commune du Huelgoat, par une route variée, par des montagnes de granit et des chemins forts difficiles. Rien d'exécrable comme les pavés de ce chef-lieu de canton; il n'est aucune voiture qui ne versât en le traversant : il y à 3 et 4 pieds du niveau de la rue an fond des boueuses ornières, qui s'y sont pratiquées par la négligence des habitants. Que de ruines ! que de misère !

Il y a plus de 20 ans qu'on demande un chemin qui conduise du Huelgoat à Morlaix.

Les ponts des environs sont dans un état déplorable.

La halle a besoin de réparation. Point de fontaines dans la commune, mais l'eau des environs est bonne.

Le principal commerce y consiste en bestiaux, en moutons, en miel. Le pays est sans manufactures sans tanneries. On y voit beaucoup de mendiants." [Jacques Cambry]




Cette formation rocheuse appelée "chaos" est le résultat d’un processus granitique qui s'est développé pendant des millions d’années. Ce granite qui apparait à la surface sous la forme de roches, est du type éruptif et s'est formé à plus de 20 km de profondeur dans le magma où se produisent de grandes pressions et de températures atteignant les 800-1000°. Lorsque ce magma remonte à la surface, se refroidit et se solidifie, va se briser à la surface de la Terre à cause des agents atmosphériques tels l’érosion, le changement de température, le gel, les courants d’eau et la pluie; ces agents, finalement réagissent de sorte que ces roches solidifiées sont désagrégées,  modifiées et même déplacées. Puis, le hasard, ayant sont dernier mot, fera son travail au fil du temps : le sable sera traîné par les eaux des rivières mettant au jour des entassements de roches sur le lit de la rivière. De cette façon, le chaos est créé se constituant le décor idéale pour la naissance de légendes et de personnages magiques.

Ces rochers entassés de 20 à 30 pieds et 50 pieds de diamètre sont arrondis, polis, comme des cailloux roulés : ils sont sans doute les débris d'une montagne énorme, dont les filtrations, dans un temps prodigieux, auront miné les bases : la terre au loin est couverte de ses débris. Que de siècles il a fallu pour que les eaux du ciel aient arrondi toutes ces surfaces ! Elles ne peuvent l'avoir été par d'autre frottement. L'Océan en fureur ne pourrait pas les agiter : ces masses se couvrent, se supportent, s'amoncèlent ; c'est un des grands bouleversements de la nature, une incontestable démonstration de la durée infinie de notre monde. [Jacques Cambry] 




Autour de ce chaos, les habitants d'Huelgoat [Haut Bois en breton] ont donné des noms charmants et saisissants à ces formes rocheuses engendrées par la nature : la Grotte du Diable, la Roche Tremblante, le Ménage de la Vierge, la Mare aux Fées, la Grotte d’Artus… La présence de ce Chaos a aussi une explication légendaire à laquelle le géant Gargantua, les géants de Berrien et de Plouyé ne sont pas étrangers. Cette forêt est touffue et visité souvent par le brouillard un paysage où l’imaginaire de ses habitants a développé une grande quantité de légendes au cours des siècles ; leurs croyances et leurs rêves ont peuplé ce territoire d’une grande quantité de récits et de créatures fantaisistes.

"La conversation qui règne dans les chaumières porte sur la culture, sur les bestiaux : dans les veillées, dans les jeux de nuits (fest noz), on ne parlait que de lutins, que de démons, que de revenants. Ces rêveries s’oublient depuis la révolution, ainsi que les luttes et les danses.

On m’a parlé de ces espiègleries, dont les amours de Gombeau et de Macé nous offrent une peinture si naïve. Dans les promenades nocturnes, des jeunes gens cachés prenaient des filles avec des lacets de guet. On ne dit pas ce qui se passait alors au clair de la lune, ou dans l’obscurité des coudrettes, dans les chemins couverts, qu’avec inquiétude, qu’avec une douce palpitation les jeunes filles se plaisaient à parcourir. Ces routes à présent retentissent du bruit des armes ; le sifflement des balles et les cris des mourants remplacent les doux serments, les soupirs entrecoupés, les douces victoires de l’Amour. Hommes furieux, imbéciles infortunés, qui n’avez qu’un jour à vivre, ne cesserez vous pas de le souiller de sang, de l’obscurcir d’un épais nuage de crimes et de fureurs (2)?




La nation bretonne est remarquable par sa piété pour les morts. On passe des nuits sur la tombe de ses parents ; on y verse des pleurs ; on fait des libations de lait ; et dans quelques cantons, on ceint de guirlandes de fleurs le lieu des sépultures, planté d’ifs, d’aubépine et de funèbres peupliers. [Jacques Cambry]

Un énorme bloc de granit de 137 tonnes est nommé La Roche Tremblante. Elle a 7 m de long, 3 de large et 90 cm d'arête. Elle oscille sur son arête de base en exerçant une pression à un endroit précis que n’est pas à la portée de tout le monde.  

"A quelques pas de l'étang, sur la gauche, il existe une pierre en équilibre sur le sommet d'une autre pierre; elle a 20 pieds de long, 16 de large et 13 d'épaisseur; sans beaucoup d'efforts un homme seul la met en mouvement. Près de Trégunc, près de Tréguier, ce singulier hasard se renouvelle. Je sais qu'on le révoque en doute. Vingt épreuves m'en ont démontrée la réalité. Le verre qu'on suspend à quelques lignes, est agité, frappé, quand elle se meut : la main qui la touche, peut en compter les battements, les oscillations ; ce n'est point une illusion." [Jacques Cambry]. 

La région du Huelgoat est une région minière exploitée par la Compagnie des Mines de Basse-Bretagne à partir de 1732, très en avance sur son temps. Ces mines qui se trouvaient à Poullaouën, Locmaria-Berrien et Huelgoat ont été exploitées intensivement durant 137 ans où travaillaient 2400 personnes. A cette époque, l'exploitation des mines causa de graves conséquences à la santé des travailleurs et à l'environnement.




"Les écoulements de ces mines font le désespoir des habitants de la campagne, leur influence est mortelle ; les hommes languissent décolorés, attaqués du plomb, de coliques d'entrailles surtout dans les communes de Locmaria, de Plouié, du Huelgoat. On eût pu remédier à tant de maux peut-être en pratiquant des canaux d'écoulement, c'est aux ingénieurs à décider si cette opération est exécutable." 

"Le citoyen Philippe, administrateur provisoire des mines de Poulaouen et du Huelgoat, m'avait remis l'état du produit réel de ces mines, depuis 1781 jusqu'au premier vindémiaire, an 3 de la République française.

Les produits de 1781 sont compris dans ce tableau.

Plomb marchand. 12, 945,789 liv.

Argent ordinaire. 56,237 marcs.

Argent enrichi d'or. 13,696 m. 5 o. 1 g.

Aperçu du produit actuel par année.

Plomb marchand, environ 1,350,000 liv.

Argent ordinaire au titre de 11 d. 23 g. de fin. 4,536 m."

[Jacques Cambry]





Tout près d'Huelgoat, où se trouvent les mines de plomb aujourd'hui fermées, sur une surface de 30 ha a été découvert un camp servant de refuge aux Ossismes, ancien peuple celte habitant l’Ouest de l’Armorique. On peut toujours voir les vestiges de ce camp qui ont la forme d’un oppidum celte, le Camp d’Artus, datant du 1er siècle av.C. Dans cet oppidum on a trouvé des habitations servant d’abri à une population encadrée par une troupe militaire. Il a été habité pendant l’époque romaine et le Moyen-âge, car les restes d’une motte féodale datant du Xè siècle sont toujours visibles.

"On a trouvé près d'un plateau que le citoyen Balosse m'indiqua, au milieu des forêts, des instruments qui feraient croire à d'anciens établissements, à des fonderies, etc. Ces instruments n'existent plus ; on ne peut pas juger de leur antiquité : je rapporte le fait pour ne rien oublier, pour engager un curieux à faire quelques fouilles, quelques recherches dans ces lieux ; elles nous donneraient peut-être des résultats intéressants." [Jacques Cambry]

Un autre énorme bloc est nommé Le champignon ; en équilibre sur son pied, il témoigne de l’extraordinaire évolution des phases géologiques du pays à travers le temps.




Auparavant, le Centre Bretagne était couvert par une grande masse forestière, ses restes forment parti de ce qu'on appelle aujourd'hui la forêt domaniale d’Huelgoat. Cet environnement naturel est gérée aujourd’hui par l’Office National des Forêts. Nous sommes dans le Finistère où cette forêt s'étend sur une surface de 555 ha abritant des hêtres et des chênes; autrefois ces arbres, dû à l'extraordinaire qualité de leur bois, étaient sciés pour les chantiers navals de Brest, pour la fabrication de sabots et du charbon de bois.

"J'avais le projet de visiter les montagnes d'Arès dont on parle en Bretagne, comme des Alpes et des Cordillères dont les mœurs, les usages offrent dit-on des particularités singulières : le 27 vindémiaire, je me rendis à la Feuillée.

La route de Carhaix à cette commune n'offre rien de remarquable. On traverse des champs peu boisés : on voyage entre des collines couvertes de taillis ou de bruyères.

Quatre rouliers occupaient les lits de la seule chambre de l'auberge de la Feuillée. Je fus forcé de passer la nuit sur un de ces chalis qu'on abandonne aux mendiants redoutant l'affreuse maladie de ces contrées, n'ayant pour porte qu'une échelle, couverte d'un gros drap enfumé par des tourbes que j'avais eu le malheur de faire allumer, et que je fus forcé de faire éteindre, malgré le froid très rigoureux que j'éprouvais.

Je m'endormis pourtant ; et je me convainquis, pour la centième fois que l’imagination grossit tous les maux et tous les plaisirs de la vie.




La Feuillée est située sur une colline; les maisons sont de blocs de granit couverts d'ardoises. Cette commune pauvre, abandonnée, séparée de tout, au milieu d'un désert, au pied des montagnes d’Arès, contient environ 1.400 habitants. Le grand chemin de Carhaix à Landerneau la traverse; les terres qui l'environnent sont peu fertiles; elles ne suffisent pas à la nourriture de leurs habitants : l'industrie supplée à l'aridité du sol.

On s'étonnera peut-être d'entendre prononcer le mot d'industrie dans un pays qu'un ancien préjugé dépeint encore comme sauvage, comme habité par une espèce de brute à figure humaine, qu'on nomme loups des montagnes.

Ce que je dis est vrai pourtant. Dans les temps reculés peut-être, ces habitants ne s'alliant qu'entr'eux, vivants dans leurs vallons, sans commerce, sans communication, avec les hommes, méritèrent l'idée défavorable qu'on prit de leurs moyens, de leurs facultés et de leurs mœurs. Le commerce a tout changé : je m'attendais à voir les hommes les plus bornés du Finistère ; je leur ai trouvé de la vivacité, du feu ; plus d'idée, plus de facilité à s'exprimer en français qu'aux paysans de la Bretagne en général.




La vie qu'ils mènent à présent, les courses fréquentes qu'ils font dans les villes, leurs rapports avec une multitude d'individus étrangers, développent leurs facultés. Je le répète, ils peuvent soutenir le parallèle avec les hommes les plus rusés, les plus instruits de la campagne. Dans les temps de trouble, sous le gouvernement révolutionnaire, ils ont été les colporteurs du pays; ils échappaient à toute recherche, à toute inquisition.

L'homme le plus pauvre des montagnes d'Arès possède un cheval qui le nourrit; il porte dans le pays de Léon à Brest, des lattes, des sabots, du charbon du sel, des châtaignes et des pommes, qu'il se procure à Carhaix, à Langouet, à Châteauneuf, à Rostrenen dans les Côtes du nord. Ces hommes actifs achètent des grains à Châteauneuf, à Carhaix, à Braspars qu'ils vendent à Morlaix, à Landivisiau : ils rapportent de ces communes des froments, qu'ils ne cultivent point, et versent sur Gourin, sur Scaër, ce qu'ils ne peuvent consommer dans leurs villages. Dès la pointe du jour, on les voit à cheval courir aux lieux de leurs spéculations ; ils ne rentrent souvent chez eux qu'après trois, six ou quinze jours de courses et de trafic.

On ne cultive dans ces contrées, que du seigle, du sarrazin, de l'avoine d'été, un grain qu'ils nomment pilat; espèce d'avoine ou de blé avorté, qu'on ne peut manger qu'en bouillie. Le pilat se sème en germinal, et se coupe à la fin de thermidor. On n'en donne point aux chevaux ; ses extrémités trop aiguës pourraient s'attacher à leur gosier, et leur causer une toux dangereuse ; ils le refusent et le rejettent. On en cultive, dit-on, mais en petite quantité, dans les environs de Morlaix et de Quimper.




Les habitants des montagnes d'Arès sèment du chanvre qu'ils emploient sans l'exporter. Ils sont vêtus de toile ou de berlinge, espace d'étoffe faite avec du fil de chanvre et de la laine : ils en font des gilets, des habits, des culottes, des bas, et portent tous le même vêtement, de la même couleur, d'un brun jaunâtre. Les femmes se servent de la même étoffe ; elles n'ont de remarquable dans leur habillement, qu'une espèce de queue, plissée d'un empan de largeur qui tombe aussi bas que leurs jupes. Les riches paysans mettent sous leur habit ou plutôt sous leur large veste, un gilet de peau de mouton dont le poil est en dehors la peau bien souple, bien passée, porte sur leur chemise.

Les crêpes, la bouillie, du pain de seigle, du laitage, et du lard dans les jours de fête, sont la nourriture de ces montagnards.

Les bestiaux sont très nombreux dans ces cantons ; l'herbe qu'ils paissent sur les hauteurs n'est pas assez substantielle pour qu'on s'exempte de garnir les étables, à midi dans les jours d'été, et le soir dans toutes les saisons.

Les prairies de la commune de la Feuillée donnent un foin maigre mêlé de joncs. On aime mieux laisser les champs en pâturage, que d'obtenir avec beaucoup de soins et de dépenses des récoltes qui ne donnent pas trois pour un.

Les eaux sont bonnes; l'air est fort sain dans ces montagnes : il est commun d'y voir des centenaires. Les hommes y sont d'une taille moyenne, forts, endurcis par leurs fréquents voyages et l'âpreté de leur climat." [Jacques Cambry]




A la fin du XIXè siècle, l'homme a introduit le pin et le sapin ainsi que des arbres feuillus et résineux plus tard suite aux dégâts causés par l’ouragan d’octobre 1987 qui détruisit 300 ha en une nuit. D'autres espèces poussent aisément dans ce territoire telles la callune, l’osmonde royale, les saules noirs, les myrtilles et une petite fougère primitive nommée l’hyménophylle de Wilson.

"Le climat est sujet aux orages, aux gelées, le vent de nord-ouest brûle, courbe et déracine tous les arbres. La grêle y tombe fréquemment, il est rare que les bleds et les jeunes plans ne gèlent point au mois de mai; les chaleurs n'y sont pas excessives; les froids y sont très supportables rien n'égale les variations du ciel et de la température de ce pays. Il produit des seigles des avoines et du sarrazin, très peu le froment, point d'orge ni de mil: tous les cantons sont à-peu-près de la même fécondité. Les pommes de terre, méprisées jadis en Bretagne sont cultivées avec succès dans quelques cantons, elles commencent à s'introduire dans le district que je décris. On n'y cultive point de lin; le chanvre qu'on y sème suffît à peine aux besoins des cultivateurs. Il y a quelques cidres dans les communes de Château-Neuf, de Carhaix, de Cleden et de Saint-Hernin en général, on les tire du Faouët et de la Normandie, par Morlaix et Saint-Brieuc. Point de fruits, point de grands jardins.

Les terres sont mal tenues, chargées de pierres : le tiers du pays est à peine en culture; il y manque des bras, et le fermier se décourage. Les meilleures terres sont celles dont la principale commune est environnée, celles de Cleden et de Saint-Hernin; les plus mauvaises sont celles de Huelgoat et de Scrignac, elles sont lourdes, aquatiques, dans les fonds sèches sur les hauteurs. C'est un pays du foin, il est couvert de riches pâturages. Le climat est tardif; on y craint surtout les gelées. Les cultivateurs battent leurs grains avec le fléau, les fumiers sont formés de landes, de genets de paille, de bruyères, corrompus dans les maires des chemins de traverses. On ne donne point de sel au bétail." 




"Le pays est garni de chênes, de hêtres et de frênes; les ormeaux y sont moins fréquents; on y trouve quelques sapins ; les châtaigniers sont rares, les cerisiers assez communs. On fait dans le district une grande quantité de lattes qui se transportent à Morlaix, à Saint-Pol-de-Léon, où l'on prend en échange du lin, de la graine de !in qu'on verse sur Guingamp, sur Pontrieux et sur l'Orient. Le commerce des bestiaux est le plus considérable du district. Il fournit de bons chevaux, mais d'une petite espèce. Il y avait avant la révolution, un fort beau haras sur la terre de Kersalaun, il est détruit sans qu'on songe à le rétablir.

Les suifs, le miel, les cires, les papiers du pays se portent à Morlaix. On élève quelques moutons dans les communes de Spezet, de Berien, de la Feuillée, peu de chèvres : les porcs y sont en assez grande abondance.

Les loups, les sangliers et le gibier en général sont fort communs dans les environs du Huelgoat. La forêt de Las nourrit une telle quantité de loups, de sangliers, qu'ils désespèrent les cultivateurs : ils sont obligés de veiller la nuit dans les communes pour éloigner ces animaux. On trouve des dains, de cerfs, des biches, des chevreuils, des blaireaux, des hermines, des belettes et des renards: dans cette forêt ils n'y sont plus en aussi grand nombre. Les malfaiteurs ont de tout teins choisi cette retraite, elle les met à l'abri des poursuites de la justice.

Les bécasses, les canards sauvages, sont très communs dans le district de Carhaix. On y trouve des cailles et des râles de genets mais rarement l'épervier; la buse, le corbeau, désolent les campagnes ; les lapins y sont trop multipliés, les lièvres en abondance." [Jacques Cambry]





Les manufactures.

"Les manufactures sont en petit nombre et peu considérables. On y trouve deux papeteries, l’une à Landeleau, l’autre à Saint-Gouazec ; la première a cessé ses travaux, la seconde les continue.

On fait quelques gros chapeaux à Carhaix : dans la basse ville de cette commune, on compte une douzaine de tanneurs.

Pas un potier dans toute l'étendue du district : la poterie vient de Guingamp, les pipes et les faïences de Quimperlé.

Les tisserands ne fabriquent que de grosses toiles qui ne sortent pas du pays.

Les mines de Poulaouen et du Huelgoat, et les forêts qu'elles emploient font la richesse du pays." [Jacques Cambry]





Des rivières riches en poissons.

"L'Aulne et l'Yère sont les principales rivières du district ; elles se réunissent, coulent par Châteaulin, se perdent dans la baie de Brest ; beaucoup de petits torrents et de ruisseaux se joignent à ces deux rivières. Les mœurs dans les campagnes sont à peu près celles que j'ai décrites en parlant du district de Morlaix.

Il y a beaucoup d'étangs dans le district; le plus considérable est celui du Huelgoat. On en vante les anguilles superbes, très communes jadis, rares à présent : leur grosseur et leur délicatesse les faisaient rechercher. Les tanches, les truites de ces étangs, sont de bonne qualité. Les rivières du district étaient très poissonneuses mais les écoulements des mines ont détruit les brochets, les saumons, les dards, les brèmes et les perches qui les peuplaient ; ils périssent, comme les arbres qui paraient les rivages, et qui sont à présent à cinquante pieds sur les deux rives, dépouillés de feuillages et brûlés jusqu'au cœur.

L'étang fournit des poissons excellents carpes, tanches, truites, peu d'anguilles: il a plus de 600 toises de long, 200 toises de largeur, 19 à 20 pieds de profondeur : ses eaux lui sont fournies par la petite rivière de Saint-Guinés et par le ruisseau de Goazalés ou de Kervisien. La chaussée qui les soutient est large et forte ; une partie de ses eaux passe dans le canal, qui fait jouer les machines de la mine ; l'autre s'échappe avec fracas par une chute de plus de 60 pieds à travers des plus gros rochers; elle disparait, et ne se montre à l'œil qu’à 7 à 800 pas dans le vallon, au pied de la montagne."





Le paysan et son habitation.

L'habitation du cultivateur est plus misérable encore que dans les environs de cette commune ; les yourtes de Kamchatka ne sont pas aussi dégoûtantes. Le croirait on ? A la porte de Rome et de Naples, villes qui ne donnent que des idées de grandeur et d'opulence, près du fastueux cardinal Albani, à côté de Saint-Pierre, près du temple de la Sybile à Cume, j'ai vu des cahutes plus affreuses et des hommes plus malheureux. Ce contraste m'a toujours blessé; j'espérais qu'une révolution sage diminuerait le luxe des palais, pour embellir la chaumière du pauvre. Des méchants ont tout renversé, tout détruit et le mal qu'ils ont fait, loin d'être utile au malheureux, n'a servi qu'à le pervertir, à lui donner des vices, des fureurs, qu'à l'éloigner de la simplicité qui le consolait de ses peines. L'équilibre se rétablira peut-être, je le souhaite avec ardeur. Mais qu'il est difficile de redonner aux hommes un frein, des vertus, des talents, quand ils ont connu la licence, quand ils ont bu dans la coupe du crime, et se sont enivrés de sang et de fureurs.

Le cultivateur pauvre, dans le district de Carhaix n'a qu'une nourriture grossière ; il mange de gros pain de seigle, des bouillies de sarrazin, du blé noir.





La médecine.

Le costume des hommes varie dans tous les cantons du Finistère et de la Bretagne ; celui des femmes, dans chaque commune. Les cultivateurs sont eux-mêmes leurs médecins, le vin, l'eau de vie, ont été de tout temps leurs principaux remèdes. Plus les hommes sont ignorants et simples, plus ils sont entourés de jongleurs et de charlatans ; les uns donnent la fièvre, la guérissent en la faisant passer dans un arbre ; d'autres prédisent l'avenir, font voir le diable et lui commandent : quelques-uns lisent votre destinée dans les arbres, ceux-ci la voient dans les signes de la main gauche. Je fus curieux de consulter un de ces magiciens. A force de recherches, je découvris un homme qui, sans études, a pris du goût pour les sciences. Dans un voyage qu'il fit à Brest, en qualité d'élève salpêtrier, il acquit quelques connaissances en physique. Il pratiquait la médecine depuis l'enfance, à l'aide de quelques recettes conservées dans sa famille, de père en fils : j'eus avec lui plusieurs conversations, je fus aussi content de son esprit que de la bonne foi de sa raison, de sa philosophie. Le besoin de lumières le tourmentait; il se plaignait sans cesse de la négligence de ses parents; il regrettait de n'avoir pas fait d'études. A sa curiosité, à son impatience, à sa finesse, à la tournure originale de son esprit, je conjecturai que Julien-le-Mentheour de la commune de Plounèves-du-Faou eût marqué dans les lettres s'il avait eu dès l'enfance les moyens qui permettent de les cultiver.




D'après vos questions, me dit-il, sont ce des contes ou des vérités que vous voulez que je vous donne? Je n'ignore pas les grimaces de mes confrères, je les pratique rarement, mais il est des fous qu'on ne guérit qu'avec des singeries : j'ai des recettes ; réelles que voulez-vous ?

Je désire, lui dis-je, de connaitre les simples que vous employez, la médecine que vous pratiquez. Chaque pays a sa tradition ; c'est de la réunion dé ces traditions que peuvent naître les lumières.

Je voudrais savoir les pratiques de vos charlatans pour juger de l'esprit de vos compatriotes. Vous m'obligerez en me parlant d'abord comme médecin ; en second lieu, comme homme instruit des secrets dès faux médecins.

J'y consens, me dit-il; et j'écrivis sous sa dictée.

Pour le mal que les Bretons nomment dreïtoures : La squinancie.

Âudiviline, du sénesson.

Garvic, de la garance.

Aneladan, du grand plantin.

On pile le tout avec du vieux beurre; on l'applique à froid sur le cou.

Pour les maux d'yeux. On met de la chelidoine (1) tremper le soir dans de l'eau de fontaine ou de pluie; on en lave le lendemain la partie malade.

Pour le mal de dents. Appliquez une noix sur la dent malade, aussi chaude qu'on puisse la supporter le mal se passe, la dent tombe en morceaux.

Pour l'enflûre. Faites bouillir de la racine de genets dans une chopine d'eau et donnez en le jus au malade.







Pour les chancres à la bouche. Appliquez le cocléaria.

Pour les vents et les maux de côté. On prend le soir, en se couchant, du cerfeuil anisé qu'un a fait bouillir dans du lait.

Pour les rétentions d'urine. Employez la reine des prés (rouanen ar foin), la grande marguerite. On la fait tremper dans du vin blanc ; une ou deux onces suffisent : pris sans précaution ce remède fait uriner du sang.

Pour la dysenterie. Mangez une ou deux grappes de sureau.

Pour le mal de jambes. Du charbon, une poignée de sel, une poignée de suie de cheminée : pilez le tout ensemble on en fait un emplâtre, qu'on applique sur la blessure.

Pour les coupures. On râpe de la deuxième écorce du genet; on l'applique sur la plaie on n'a pas besoin de renouveler cet emplâtre.

Pour les meurtrissures. Elles se guérissent en mêlant à de la verveine pilée, une poignée de sel et de blanc d'œuf.





Les communications.

J’ai dit que six grandes routes aboutissent au chef-lieu du district ; elles nécessitent des réparations qu’on néglige.

Il est indispensable dans la commune de Coloréc de réparer le pont Morvan, ou plutôt de le refaire en entier. Les marchandises qui viennent de Morlaix; les denrées que six ou sept communes fournissent aux ouvriers de la mine du Huelgoat; les voyageurs et les marchands qui se rendent des environs de Châteaulin dans ceux de Carhaix, se servent de ce pont dangereux, où des hommes pressés par la nécessité, ou conduits par le hasard se noient trop fréquemment.

Le pont de Kergoat, sur la petite rivière de ce nom, expose aux mêmes accidents ; il sert à la communication de Spezet, de Motref et de Saint-Hernin avec le chef-lieu.

Le grand chemin de Carhaix au Guerlesquin est détestable. Trois ingénieurs en commencèrent les réparations en 1783, 87 et 92 ; elles ne sont pas terminées : cette route est nécessaire au grand commerce de bestiaux entre les districts de Morlaix et celui dont je vous fais la description. 

Je ne restai qu'un moment à Morlaix, pour achever d'examiner sa curieuse bibliothèque ; et je partis pour Lesneven, en repassant par Pol-de-Léon (3). [Jacques Cambry]






Le château d'Artus.

"La tradition conserve dans ces lieux le souvenir de l'énorme château d'Artus ; des rochers de granit entassés donnent l'idée de ses vastes murailles : on doit y trouver des trésors gardés par des démons, qui souvent traversent les airs sous la forme d'éclairs, de feux follets, en poussant quelquefois des hurlements affreux; ils se répètent dans les forêts, dans les gorges du voisinage. L'orfraie, la buse et les corbeaux sont les seuls animaux qui fréquentent ces ruines merveilleuses.

Le citoyen Mathurin Grillaud a partagé les morceaux d'un grand vase d'or trouvé par son père, en bêchant un champ nommé Toul-a-Houat. Ce fait m'est attesté par toute la commune et par la municipalité.






Les montagnes de Lauter Brunen, celles que séparent le Trient, la Drance, les voûtes sous lesquelles le Rhône disparaît, sont plus imposantes peut-être; mais des torrents des fleuves impétueux les rompent, les divisent. Ici l'étang a trop peu de moyens pour agir avec violence et le temps seul opéra ces merveilles. On voit à Saint-Guinés une pierre de 18 à 20 pieds de diamètre ; l'eau de pluie, sans cesse agitée par le vent, l'a creusée à 8 pouces de profondeur sur une largeur de 4 pieds : l'eau renfermée dans le bassin guérit toute espèce de maux, les maladies de la peau surtout : on la boit, on s'en lave, on voudrait s'y baigner. Le tronc qui l'avoisine, était toujours rempli. Cet effet des eaux n'est pas rare en Bretagne ; on le trouve souvent répété sur la route de Concarneau à Pontaven, sur l'île Tristan.

Je visitai les rives du canal, qui va faire mouvoir les grands rouages de la mine : il n'est point de site plus bizarre, plus varié, plus extraordinaire. Les prairies traversées par une onde agitée; les grands arbres dont les feuillages se croisent, dominés par le clocher d'une église fort élevée ; l'eau du canal qui paraît immobile cette impression causée par les lieux sauvages infréquentés, tout contribua jusqu'à la nuit à me retenir dans ces lieux : je les quittai fort tard avec regret mais les sites que je parcourus en retournant à Poulaouen, la belle forêt de Plaudouel, celle de Boudoudrin, les accidents d'une route si variée me consolèrent du sacrifice que je venais de faire en m'éloignant du Huelgoat." [Jacques Cambry]








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(1) Matthiole recommande de n'employer cette plante qu'après en avoir diminué l'âpreté dans du lait de femme. L'opinion commune du temps de Dioscoride, était qu'avec cette herbe l'hirondelle rendait la vue à ses petits. 

(2) Les chouans pénétraient quelquefois dans cette partie du Finistère. 

(3) Carhaix, par la position, ne devrait pas être délaissée ; i1 serait important d'y placer quelque établissement qui pût la revivifier, l'empêcher d'être un désert en peu de temps. Ce poste militaire est de la plus grande importance; tout le monde le fuit parce qu'il est sans ressources, et peut-être pour éviter l'esprit détestable de chicane, de division, de haine, de discorde, dont il fut de tout temps le théâtre.

 

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Ouvrages consultés pour cet article:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Huelgoat

Cambry, Jacques (1749-1807). Auteur du texte Voyage dans le Finistère, ou État de ce département en 1794 et 1795. T. 1 / [par Jacques Cambry]. 1798. BNF GALLICA.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cambry




Images prises 

  le 20 juillet 2022 à Huelgoät 29690

 
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