 |
Neuf cadres se trouvent à l'intérieur de la hausse. |
Ce que c'est que
la commosis, la pissoceros, la propolis.
Ceux qui
s'occupent des abeilles appellent commosis le premier fondement des rayons,
pissoceros le second, propolis le troisième. La propolis se trouve entre les
autres couches et la cire : elle est d'un grand usage en médecine. La commosis,
d'un goût amer, forme la première couche. La pissoceros, comme une couche de poix,
s'étend par-dessus, et ressemble à une cire liquide. La propolis provient de la
gomme douce des vignes et des peupliers; sa substance, dans la composition de
laquelle entre le suc des fleurs, est plus épais; toutefois ce n'est pas encore
la cire, mais le soutien des rayons, ce qui les garantit du froid et de toute
injure; elle est en outre d'une odeur forte, et l'on s'en sert communément au
lieu de galbanum.
 |
Dans son jardin, Loïc DAVID a installé les ruches.
Les abeilles ne gênent pas les voisins. |
Erithaque,
sandaraque ou cérinthe.
Les abeilles
transportent aussi dans leurs ruches l'erithaque, que quelques-uns nomment
sandaraque, et d'autres cérinthe : ce sera leur nourriture pendant qu'elles
travailleront. On la trouve souvent mise en réserve dans les rayons vides ;
elle est d'un goût amer. Elle se forme de la rosée du printemps et du suc des arbres,
comme les gommes; en moindre quantité quand l'Africus souffle, plus noire quand
c'est le vent du midi, rouge et d'une meilleure qualité par le vent du nord, très-abondante
sur les noyers grecs. Ménécrate prétend que c'est une fleur, mais il est seul
de son avis.
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Une abeille en train de butiner. |
Choix des fleurs
pour la confection du travail.
Elles
extraient la cire des fleurs de tous les arbres et de toutes les plantes,
excepté le rumex et l'échinopode, deux espèces d'herbes. On excepte aussi le spart,
mais à tort, puisqu'en Espagne, dans les contrées qui produisent cette plante,
le miel en a souvent le goût. Je pense qu'on a également tort d'excepter l'olivier,
car il est certain que les essaims ne sont jamais plus nombreux que lorsque les
olives sont abondantes. Elles ne nuisent point aux fruits. Elles ne se posent
jamais sur des cadavres, ni même sur des fleurs desséchées. Elles travaillent
dans une circonférence de soixante pas : à mesure que les fleurs sont épuisées,
elles envoient des éclaireurs pour reconnaître de nouveaux pâturages. Surprises
par la nuit pendant leurs expéditions, elles veillent couchées sur le dos, afin
de garantir leurs ailes de la rosée.
 |
Ouverture du couvercle. |
Noms de quelques
hommes épris de l'étude des abeilles.
Qu'on ne
s'étonne pas que des hommes se soient passionnés pour elles ; comme Aristomaque
de Soles, qui, pendant cinquante-huit ans, ne fit rien autre chose que
d'étudier les abeilles ; et Philiscus de
Thasos, qui fut surnommé Agrius, parce qu'il vécut au milieu des déserts,
occupé du même soin. Tous deux ont écrit sur les abeilles.
 |
Les abeilles cherchent toujours l'apiculteur car il est un voleur
de leur miel. C'est pourquoi, le costume de protection doit être
bien mis afin de s'isoler complètement de l'extérieur. |
Manière de
travailler des abeilles.
Voici
l'ordre du travail. Pendant le jour, une garde veille aux portes comme dans un
camp ; la nuit, tout repose jusqu'au matin : alors une d'elles éveille les autres
par deux ou trois bourdonnements, comme par le son d'une trompette. Alors elles
s'envolent toutes à la fois si le jour doit être serein, car, elles pressentent
les vents et la pluie, et alors elles se tiennent sous leur toit. Lorsque, par
un temps favorable, ce qu'elles savent aussi prévoir, la troupe est partie pour
le travail, les unes ramassent avec leurs pieds la poussière des fleurs, les
autres remplissent leur trompe d'eau, ou elles en imbibent les poils dont tout
leur corps est couvert. Les jeunes seulement sortent pour recueillir et
voiturer ces approvisionnements : les vieilles travaillent dans l'intérieur. Celles
qui apportent les fleurs se servent des pieds antérieurs pour charger leurs cuisses,
que, dans cette vue, la nature a faites raboteuses ; et de leur trompe pour
charger leurs pieds antérieurs.
 |
Cadre et cellules remplies de miel. Les abeilles ont fermé les cellules avec
de la cire qu'il faudra enlever plus tard. |
Quand leur charge est complète, elles
reviennent ployant sous le faix. Trois ou quatre ouvrières les reçoivent et les
déchargent ; car, dans l'intérieur, les fonctions sont pareillement réparties. Les
unes bâtissent, les autres polissent, d'autres fournissent les matériaux,
d'autres préparent, pour le repas, quelques-unes des provisions qui ont été
apportées ; en effet, elles ne mangent pas séparément, pour prévenir l'inégale
distribution de travail, de nourriture et de temps. Elles bâtissent en
commençant par la voûte de la ruche, et, comme dans la fabrication d'une toile,
conduisent de haut en bas la chaîne de leurs cellules, ménageant deux sentiers
à chaque rayon, pour entrer par l'un et sortir par l'autre.
 |
Cadre de la hausse.
Cellules pleines de miel. |
Les rayons,
attachés à la ruche par leur sommité, et même un peu par leurs côtés, tiennent
ensemble et sont également suspendus. Ils ne touchent pas le sol ; ils sont
anguleux ou ronds, selon la forme de la ruche quelquefois de l'une et de
l'autre sorte, lorsque deux essaims, demeurant ensemble, ne procèdent pas de la
même manière. Elles étayent les rayons qui menacent ruine, au moyen de piliers
massifs qui partent du bas de la ruche, et sont construits en arcades, afin de
laisser un passage pour les réparations. Lès deux ou trois premiers rangs
demeurent vides, pour ne rien montrer qui excite la cupidité des voleurs. Les
derniers sont les plus remplis de miel ; c'est pourquoi, quand on veut tailler
la ruche, on l'ouvre par derrière. Les abeilles qui apportent les fardeaux
recherchent les vents favorables. S'il s'élève un orage, elles saisissent de
petits graviers qui leur servent de contre-poids : quelques auteurs avancent qu'elles
les posent sur leurs épaules. Dans les vents contraires, elles volent près de
terre, évitant les buissons.
 |
Cadre de la hausse.
Dans les cellules, on peut aussi trouver des oeufs.
Ce son les cellules blanches. |
Le travail est
surveillé d'une manière étonnante : elles remarquent les paresseuses, les
châtient sur-le-champ, les punissent même de mort. Leur propreté est admirable:
elles enlèvent soigneusement de la ruche tous les corps étrangers, et ne
souffrent aucune immondice dans leurs travaux : les ordures même que les
ouvrières, pour ne pas trop s'éloigner, déposent dans un lieu commun au-dedans de
la ruche, sont transportées au dehors les jours de mauvais temps et pendant la
cessation des travaux. Quand la nuit arrive, le bruit dans la ruche diminue de
moment en moment, jusqu'à ce qu'une abeille, voltigeant à l'entour avec un
bourdonnement pareil à celui qui annonce le réveil, semble donner l'ordre du
repos, comme il se pratique encore dans les camps : alors tout à coup, et à la
fois, elles se taisent.
Elles
bâtissent des logements, d'abord pour le peuple, ensuite pour les rois ; si
elles espèrent une année abondante, elles en construisent aussi pour les
bourdons: ce sont les plus petites cellules, quoiqu'ils soient eux mêmes plus
grands que les abeilles.
 |
Cette ruche contient deux hausses.
Dans chaque hausse on place neuf cadres. |
Des bourdons.
Dépourvus
d'aiguillon, les bourdons sont des abeilles imparfaites, produit tardif,
dernier effort de la vieillesse épuisée, et pour ainsi dire les esclaves des
véritables abeilles : aussi elles leur commandent, les envoient les premiers à
l'ouvrage, et punissent leur paresse sans pitié. Les bourdons ne les aident pas
seulement dans le travail, mais encore pour la multiplication de l'espèce, parce
que la grande quantité des habitants sert beaucoup à échauffer la ruche. Ce qui
est certain, c'est que plus ils sont nombreux, plus les essaims sont abondants.
Lorsque le miel commence à mûrir, elles les chassent, et, se jetant plusieurs
sur un seul, elles les tuent. On ne voit cette espèce que pendant le printemps.
Un bourdon qu'on a rejeté dans la ruche après lui avoir arraché les ailes, les
arrache lui-même aux autres.
 |
Couvercle de la hausse. |
Nature du miel.
Les
abeilles, dans la partie inférieure de la ruche, construisent, pour les rois à
naître, des palais vastes, magnifiques, séparés, et surmontés d'une sorte de
dôme ; cette proéminence détruite, leur naissance n'a pas lieu. Toutes les
cellules sont hexagones, parce qu'elles y travaillent avec tous leurs pieds à
la fois. Il n'y a point d'époques déterminées pour aucun de ces ouvrages :
elles y travaillent à la hâte, profitant de tous les jours sereins. En une ou
deux journées au plus elles remplissent les cellules de miel.
 |
Ouverture de la ruche. |
Le miel vient
de l'air, généralement au lever des astres, et principalement sous la
constellation de Sirius, jamais avant le lever des Pléiades, vers l'aube du
jour; aussi, à la naissance de l'aurore, les feuilles des arbres sont-elles
alors humectées de miel ; et ceux qui se trouvent le matin dans les champs
sentent leurs habits et leurs cheveux enduits d'une liqueur onctueuse. Au
surplus, que le miel soit une transpiration du ciel, une rosée des astres, un
suc de l'air qui s'épure, plût aux dieux qu'il nous parvînt sans mélange,
liquide, naturel, tel qu'il a coulé d'abord ! Aujourd'hui même, qu'il tombe
d'une si grande hauteur, souillé mille fois sur sa route, infecté par les
exhalaisons terrestres qu'il rencontre; ensuite recueilli sur les feuilles et
les herbes, entassé dans l'estomac des abeilles, car elles le dégorgent par
leur trompe ; en outre, corrompu par le suc des fleurs, macéré dans les ruches
; enfin, tant de fois change, il conserve cependant un goût délicieux qui
décèle encore une nature céleste.
 |
Nous sortons un cadre de la hausse.
Les abeilles l'ont remplie de miel et des œufs.
Certaines cellules contenant du miel ont été celées. |
Quel est le
meilleur miel.
Le
meilleur miel est toujours celui des contrées où il se dépose dans le calice
des fleurs les plus suaves. Les lieux les plus renommés sont les monts Hymète
dans l’Attique, et Hybla en Sicile, ensuite l'île de Calydna. Le miel est
d'abord liquide comme l'eau ; les premiers jours il fermente comme le moût, et
s'épure. Le vingtième jour il s'épaissit, et bientôt il se couvre d'une
pellicule formée par l'écume du bouillonnement. Le plus agréable au goût, et le
moins altéré par le feuillage, est celui qui provient des feuilles du chêne, du
tilleul, des roseaux.
 |
Cadre d'une hausse.
Certaines cellules contenant du miel ont été bouchées afin
de le conserver.
Des œufs, couleur jaune, ont été pondus dans les cellules. |
Quels lieux
donnent telle ou telle espèce de miel.
La bonté
du miel dépend du pays, ainsi que nous venons de le dire; mais la récolte n'est
pas la même partout. En certains lieux, comme chez les Pélignes et dans la
Sicile, les rayons sont plus chargés de cire; en d'autres pays ils contiennent
plus de miel, comme dans la Crète, l'île de Cypre et l'Afrique; ailleurs, comme
dans les régions septentrionales, ils sont remarquables par leur grandeur. En
Germanie, on a vu un rayon de huit pieds, dont toute la partie creuse était
noire.
 |
Une fois remplacés les cadres, on ferme la hausse. |
Toutefois, en
quelque contrée que ce soit, on distingue trois sortes de miel : la première
est celui du printemps ; il est formé de la substance des fleurs, et par cette
raison on l'appelle anlhinum.
Quelques-uns défendent qu'on y touche, afin qu'une nourriture copieuse rende
les essaims plus vigoureux. D'autres, au contraire, n'en laissent qu'une faible
partie aux abeilles, parce qu'un produit abondant doit avoir lieu au lever des
grandes constellations. Au reste, c'est pendant le solstice, lorsque le thym et
la vigne commencent à fleurir, que les cellules sont le mieux approvisionnées.
Mais il faut une sage économie dans la taille des ruches, car le manque de
nourriture désespère les abeilles, les fait mourir ou les disperse ; d'un autre
côté, l'abondance amène la paresse : et alors, dédaignant l'érithaque, elles
mangent le miel pur ; aussi un bon économe leur abandonne le douzième de cette
récolte. Le jour où l'on doit la commencer semble être fixé par une loi de la
nature ; si l'on veut l'observer et le savoir précisément, c'est le trentième
après la sortie de l'essaim. Elle se
fait presque toujours dans le courant du mois de mai.
 |
Vue d'un cadre. |
La seconde sorte
est le miel d'été; on l'appelle horaion,
parce qu'il se forme dans la saison la plus convenable, quand Sirius brille de
tout son éclat, environ trente jours après le solstice. Cette production de la
nature serait le plus précieux de ses bienfaits, si la perversité de l'homme n'altérait
et ne corrompait tout. En effet, lorsque les astres, et surtout les astres du
premier rang, se lèvent, ou que l'arc-en-ciel se déploie, s'il ne survient
point de pluie, et que la rosée soit échauffée par les rayons du soleil, ce
n'est plus un miel qui se forme, mais un baume salutaire, présent céleste pour
les yeux, pour les ulcères et pour toutes les parties internes. Si on le
recueille au lever de Sirius, et que le lever de Vénus, de Jupiter ou de
Mercure, ce qui arrive souvent, tombe le même jour, sa douceur et sa vertu pour
guérir les mortels, et même les rappeler à la vie, sont celles mêmes du divin
nectar.
 |
Abeille en train de butiner. |
Manière
d'éprouver le miel. De l'éricée, tétralice ou sisire.
La
récolte du miel est plus riche dans la pleine lune ; le miel est plus gras dans
un jour serein. Celui qui a coulé de lui-même, comme le moût et l'huile, est
appelé acetum. Le rouge est d'une
qualité supérieure, et le meilleur pour les oreilles. On estime celui qui
provient du thym : il est de couleur d'or et d'un goût très-agréable. Celui qui
se forme dans les calices des fleurs est gras; celui du romarin est épais;
celui qui se fige est le moins recherché. Le miel du thym ne se coagule pas ;
quand on le touche, il file très menu ; c'est le premier indice de sa pesanteur
: quand il se détache sans filer, et que les gouttes rejaillissent, c'est un
signe de son infériorité. Quant aux autres qualités, on exige qu'il soit
odorant, aigre-doux, gluant, transparent. Cassius Dionysius veut qu'on laisse
aux abeilles le dixième de la récolte d'été si les ruches sont pleines, et une
part proportionnée si elles ne le sont pas entièrement; ou, si elles sont
presque vides, qu'on n'y touche pas. Les habitants de l'Àttique ont fixé
l'époque de cette récolte au commencement de la caprification; les autres, aux
fêtes de Vulcain.
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Syrphe en train de butiner. |
La troisième
sorte, la moins estimée, est le miel sauvage, qu'on appelle éricée. Les abeilles le recueillent après
les premières pluies d'automne, lorsque la bruyère seule fleurit dans les
forêts ; voilà pourquoi il a l'aspect granuleux. Il se produit principalement
au lever de l'Arcture, deux jours avant les ides de septembre. Quelques-uns
diffèrent la récolte d'été jusqu'au lever de l'Arcture, parce que de là il
reste quatorze jours jusqu'à l'équinoxe d'automne, et que, dans les quarante-huit
jours depuis l'équinoxe jusqu'au coucher des Pléiades, il y a le plus de
bruyère en fleur. Les Athéniens appellent cet arbrisseau tétralice, les Eubéens
sisire. Ils pensent qu'il est très agréable aux abeilles, peut-être parce
qu'alors il n'y a point d'autres plantes en fleur. Cette récolte se termine
donc à la fin des vendanges et au coucher des Pléiades, vers les ides de
novembre. L'expérience démontre qu'il faut en laisser aux abeilles les deux
tiers, et, dans tous les cas, les parties de rayons qui contiennent l'érithaque.
Depuis le solstice d'hiver jusqu'au lever de l'Arcture, pendant soixante jours,
le sommeil leur tient lieu de toute nourriture. Depuis le lever de l'Arcture
jusqu'à l'équinoxe du printemps, quand la température est plus douce, elles se
réveillent; mais elles se tiennent
encore dans la ruche, et ont recours aux provisions qu'elles ont réservées pour
ce temps. Mais en Italie elles font la même chose au lever des Pléiades; elles
dorment jusqu'à cette époque.
-A.jpg) |
Le travail des abeilles et très bénéfique aussi.
Elles rentrent à l'intérieur des fleurs afin de s'imprégner
du pollen et féconder d'autres fleurs. |
Quelques-uns en
récoltent le miel, pèsent les rayons, et n'en prennent qu'autant qu'ils en
laissent; car l'équité doit être observée à leur égard, et on prétend qu'elles meurent
si le partage est frauduleux. On recommande avant tout, aux personnes chargées
de cette récolte, le bain et une extrême propreté. Les abeilles ont en haine les
voleurs, et les femmes dans l'état de menstruation. Lorsqu'on taille les
ruches, il est très utile d'en chasser les abeilles par la fumée, pour prévenir
leur fureur, ou empêcher qu'elles ne dévorent elles-mêmes le miel. Souvent on a
recours au même moyen pour exciter au travail les mouches paresseuses ; car si
elles ne restent pas sur les gâteaux, elles font des rayons livides. D'un autre
côté, l'emploi trop fréquent de la fumée les infecte, et le mal qu'on leur fait
tourne au détriment du miel, qui s'aigrit même au plus léger contact de la
rosée; aussi distingue-t-on, parmi les différentes sortes de miel, celui qu'on nomme
acapnon.
-A.jpg) |
Les abeilles butinent toute sorte de fleurs. |
Reproduction des
abeilles.
La
génération des abeilles a été, parmi les savants, le sujet d'une grande et
subtile question, parce qu'on ne les a jamais vues s'accoupler. Plusieurs ont pensé
qu'elles devaient nécessairement être formées par une combinaison de fleurs
disposées d'une manière convenable à cette reproduction : quelques autres
croient qu'elles proviennent de l'accouplement d'un seul individu, que nous
appelons le roi de l'essaim. Ils disent que lui seul est mâle, qu'il est plus
grand pour qu'il résiste mieux à la fatigue ; que, par conséquent, la
reproduction n'a pas lieu sans lui, et que les autres abeilles l'accompagnent comme
leur mâle, non comme leur chef: opinion assez probable d'ailleurs, mais réfutée
par la génération des bourdons. Par quelle raison, en effet, le même
accouplement produirait-il des êtres parfaits et d'autres imparfaits? La
première hypothèse serait plus vraisemblable, si l'on n'y trouvait une autre
difficulté : c'est qu'il naît quelquefois, dans les derniers rayons, des
abeilles plus grandes qui chassent les autres. Cette espèce nuisible se nomme oestrus. Comment naît-elle, si les
abeilles se produisent elles-mêmes ?
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Syrphe en train de butiner. |
Ce qu'il y a de certain,
c'est qu'elles couvent à la manière des poules. Ce qui éclot ressemble d'abord
à un vermisseau blanc, couché de travers et tellement adhérent qu'il semble
faire partie de la cire. Le roi, dès-lors, est de la couleur du miel, comme
étant formé du choix de toutes les fleurs : il ne passe point par l'état de
ver, mais en naissant il est pourvu d'ailes. Les autres abeilles, lorsqu'elles commencent
à prendre une forme, s'appellent nymphes,
comme les bourdons se nomment sirènes
ou céphènes. Si l’on arrache la tête
à l'une ou à l'autre espèce avant qu'elle ait des ailes, c'est le mets le plus
friand pour les mères. Au bout de quelque temps, elles leur versent la
nourriture goutte à goutte, et les couvent en bourdonnant continuellement, afin
de produire, à ce que l'on pense, la chaleur nécessaire pour faire éclore leurs
petits; jusqu'à ce que, rompant la pellicule qui enveloppe chacun d'eux, comme
le poussin dans l'œuf, tout l'essaim à la fois sorte des cellules.
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Les insectes cherchent le pistil où se trouve le pollen. |
Ce phénomène
a été observé près de Rome, à la campagne d'un consulaire, qui avait fait
construire des ruches avec de la corne transparente. Au quarante-cinquième jour,
les petits sont parvenus à l'état parfait. Dans quelques rayons,
l'endurcissement d'une cire amère produit ce qu'on appelle clou lorsque les
abeilles n'ont pas conduit le couvain à terme par maladie, ou par paresse, ou
par infécondité naturelle. C'est l'avortement des abeilles. Les petits,
aussitôt qu'ils sont éclos, travaillent avec les mères, comme pour s'instruire à
leur école. Le jeune roi emmène à sa suite l'essaim du même âge.
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Syrphe en train de butiner. |
Elles élèvent
d'abord plusieurs rois, dans la crainte d'en manquer; ensuite, lorsqu'ils sont
adultes, elles tuent les moins parfaits d'un commun accord, de peur qu'ils ne
divisent la ruche. Or, il y en a de deux sortes : le meilleur est noir et
tacheté. Tous sont d'une forme distinguée, et deux fois plus grands que les
autres abeilles. Leurs ailes sont plus courtes, leurs jambes droites, leur démarche
fière, et leur front porte une tache blanchâtre en guise de diadème. Ils
diffèrent aussi beaucoup des plébéiennes par leur éclat.
 |
Avant d'insérer les cadres dans la centrifugeuse,
il faut les désorpéculer, c'est-à-dire, enlever
avec un couteau la couche de cire que les abeilles
ont déposé sur les cellules. |
Gouvernement des
abeilles.
Qu'on
recherche maintenant, s'il n'a existé qu'un Hercule, combien il y a eu de
Bacchus, et tant d'autres choses ensevelies sous la rouille des siècles ! Voici
un fait bien simple qui se présente dans toutes nos campagnes, que nous pouvons
vérifier tous les jours, et sur lequel cependant les auteurs ne sont point
d'accord. Le roi des abeilles est-il seul dépourvu d'aiguillon, et armé uniquement
de sa propre majesté ; ou bien la nature lui a-t-elle donné un aiguillon et en
a-t-elle refusé l'usage à lui seul? Ce qui est certain, c'est que le roi ne se
sert pas d'aiguillon. Son peuple est envers lui d'une obéissance admirable.
Lorsqu'il sort, l'essaim entier l'accompagne, forme un groupe autour de lui,
l'enveloppe, le couvre et le dérobe à tous les regards. Le reste du temps,
lorsque le peuple est à ses travaux, il parcourt les ouvrages dans l'intérieur,
comme pour exhorter au travail, dont il est seul exempt. Autour de lui marchent
des satellites et des licteurs, gardes assidus de son autorité. Il ne sort
jamais que lorsque l'essaim doit quitter la ruche : le départ est annoncé longtemps
d'avance par un bourdonnement qui se fait entendre plusieurs jours de suite
dans la ruche, signe certain que les abeilles font leurs apprêts, et n'attendent
qu'un jour favorable. Si l'on arrache une aile au roi, l'essaim ne partira pas.
Lorsqu'elles sont en marche, chacune ambitionne d'être le plus près du roi ;
leur joie est d'en être vues remplissant leur devoir. Lassé, elles le
soutiennent avec leurs épaules; trop fatigué, elles le portent tout-à-fait.
Celles qui restent en arrière par lassitude, ou qui viennent à s'égarer,
suivent, guidées par l'odorat. En quelque lieu que le roi s'arrête, l'armée tout
entière établit son camp.
 |
Le cadre est prêt à être inséré dans
la machine à centrifuger. |
Heureux présage qu'on
peut quelquefois tirer de l'aspect d'un essaim.
Alors
elles forment des présages privés et publics, quand elles sont suspendues en
grappes dans les maisons ou dans les temples; présages souvent accomplis par de
grands évènements. Elles se posèrent sur la bouche de Platon encore enfant,
pour, annoncer la douceur de son éloquence enchanteresse ; elles se
posèrent dans le camp de Drûsus, chef de l'armée romaine, lorsque l'on
combattit, avec le plus heureux succès, auprès d'Arbalon. La science des
aruspices n'est donc pas toujours infaillible, puisqu'ils pensent qu'un tel
présage est toujours sinistre. En prenant le roi, on est maître de tout l'essaim
: les abeilles l'ont-elles perdu, elles se dispersent et vont se joindre à
d'autres chefs : jamais elles ne peuvent être sans roi. Elles les tuent à
regret lorsqu'il y en a plusieurs; elles préfèrent détruire les cellules où ils
doivent naître, quand elles désespèrent d'une année abondante; alors elles
chassent aussi les bourdons. Quant à ces derniers, je vois qu'on ne s'accorde
pas sur leur nature : suivant quelques auteurs, ils forment une espèce particulière,
comme cette grande espèce noire, à large ventre, qui se rencontre parmi les abeilles,
et qu'on nomme larronne, parce qu'elle dévore furtivement le miel. Il est
certain que les abeilles tuent les bourdons. Ils n'ont point de roi. Mais
comment naissent-ils sans aiguillon ? C'est encore une question à résoudre.
 |
Cette centrifugeuse est idéale pour
la récolte de miel à la maison. Elle peut
contenir 9 cadres. |
Si le printemps
est humide, les essaims multiplient davantage; s'il est sec, le miel est plus
abondant. Si la nourriture manque dans quelques ruches, les abeilles se jettent
sur les ruches les plus voisines pour les piller. Celles qu'on attaque les
repoussent en bataille ; et, si le gardien des ruches se trouve là, le parti
qui le croit favorable à sa cause s'abstient de toute hostilité à son égard.
Elles se font aussi la guerre pour d'autres motifs ; deux généraux rangent en
bataille les armées ennemies : le transport des fleurs est la cause la plus
ordinaire des rixes, et chacune appelle ses compagnes à son secours. Un peu de
poussière ou de fumée sépare les célibattants. On les réconcilie avec du lait
ou de l'eau miellée.
 |
Les cadres doivent être bien fixés dans
la centrifugeuse. Cette machine tourne
grâce à une manivelle. |
Des diverses
espèces d'abeilles.
On
trouve aussi, dans les campagnes et les forêts, des abeilles sauvages d'un
aspect rude, beaucoup plus irascibles, mais plus habiles et plus laborieuses.
Les abeilles domestiques sont de deux sortes : les meilleures sont courtes,
nuancées et ramassées dans leur corpulence ; les autres, moins bonnes, sont
longues et semblables aux guêpes ; les pires de toutes, parmi ces dernières, sont
celles qui sont velues. Il y a dans le Pont des abeilles blanches qui font du
miel deux fois par mois. Aux environs du fleuve Thermodon, on en trouve une espèce
qui fait son miel dans les arbres, et une autre qui le fait sous terre, avec
trois rangs de rayons ; elles sont d'un très grand produit.
La nature a donné
aux abeilles un aiguillon attaché au ventre. Quelques-uns pensent qu'au premier
coup qu'elles en donnent il reste dans la blessure, et qu'elles meurent
aussitôt ; d'autres croient qu'elles ne meurent que lorsqu'elles l'ont enfoncé
assez avant pour qu'il entraîne une portion de l'intestin ; qu'au reste,
perdant leurs forces avec leur aiguillon, elles deviennent de simples bourdons
et ne font plus de miel, désormais, impuissantes pour nuire ou pour être
utiles. Il y a des exemples de chevaux tués par les abeilles.
 |
Insertion de cadres dans la centrifugeuse. |
Elles détestent
et fuient les mauvaises odeurs, et même les odeurs factices ; aussi les voit-on
harceler ceux qui portent des parfums, ayant d'ailleurs à se défendre elles-mêmes
contre plusieurs animaux. Les guêpes, espèce bâtarde du même genre, les
frelons, et l'espèce de cousins qu'on nomme mulions, leur font la guerre. Les hirondelles
et quelques autres oiseaux les détruisent en grande partie. Les grenouilles
leur tendent des embuscades lorsqu'elles vont chercher de l'eau, ce qui est
leur plus grande occupation dans le temps qu'elles élèvent leurs petits. Je ne
parle pas seulement de celles qui les attendent au bord des étangs et des
ruisseaux : mais les grenouilles buissonnières viennent aussi les chercher et, se
glissant près des ruches, elles soufflent par les portes. A ce bruit les
abeilles sortent et sont saisies à l'instant. On dit que les grenouilles sont
insensibles à la piqûre des abeilles. Les moutons sont encore dangereux pour elles,
parce qu'elles ont de la peine à se dégager de leur laine. L'odeur des
écrevisses, si l'on en fait cuire dans le voisinage, les fait mourir.
 |
Les 9 cadres sont à l'intérieur de la machine. |
Maladies des
abeilles.
Elles ont aussi
leurs maladies particulières. Elles paraissent alors tristes et engourdies : on
les voit offrir des aliments à celles qu'elles ont exposées à la chaleur du
soleil devant la porte de la ruche, emporter celles qui sont mortes et
accompagner leur corps comme pour leur rendre les derniers devoirs. Si le roi
succombe à la maladie, le peuple consterné s'abandonne à la douleur ; les
travaux cessent, personne ne sort, toutes s'attroupent en bourdonnant
tristement autour de son corps. On l'enlève donc en écartant la multitude,
autrement la vue du cadavre entretient leur deuil ; même, si l'on n'a soin de
pourvoir à leur subsistance, elles se laissent mourir de faim. La gaîté et la
fraîcheur sont donc chez elles les signes de la santé.
Leurs
ouvrages ont aussi des maladies : celle qu'on nomme claros, lorsque les
abeilles n'emplissent pas leurs rayons ; et celle qu'on appelle blapsigonie,
lorsqu'elles n'amènent pas le couvain à terme.
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On fait tourner la machine à coup de bras. |
Ce qui est
contraire aux abeilles.
L'écho leur
est également contraire par ce son retentissant et alternatif, qui les frappe
et les effraie. Le brouillard ne leur est pas moins nuisible; mais leur ennemi le
plus redoutable, c'est l'araignée, qui détruit la ruche entière quand elle est
parvenue à y tendre sa toile. Ce lâche et vil papillon, qui voltige autour des
flambeaux allumés, leur nuit aussi de plus d'une manière. Il mange la cire, et
laisse des ordures où s'engendrent les térédo ; de plus, il masque les fils
d'araignée, qu'il couvre du duvet de ses ailes partout où il passe.
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Il ne reste plus de miel dans le cadre, tout le miel est tombé
au fond de la cuvette. |
Dans le
bois naissent aussi des térédo, qui attaquent particulièrement la cire. Leur
propre intempérance leur est funeste: les fleurs qu'elles mangent avec excès,
surtout au printemps, leur donnent le flux de ventre. L'huile tue les abeilles,
ainsi que tous les insectes, principalement lorsque, après leur en avoir enduit
la tête, on les expose au soleil. Quelquefois elles deviennent elles-mêmes la
cause de leur mort, en dévorant le miel quand elles s'aperçoivent qu'on
l'enlève. Du reste, elles sont très ménagères : les prodigues et les gourmandes,
4 comme les lâches et les paresseuses, sont impitoyablement chassées. Leur miel
même leur est funeste ; quand on en frotte la partie antérieure de leur corps,
elles meurent. A combien d'ennemis, à combien d'accidents (et encore n'en
cité-je qu'une faible partie) est exposé un animal que sa munificence nous rend
si précieux ! Nous indiquerons les remèdes en leur lieu, car maintenant nous ne
traitons que de leur nature.
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Une fois tous les cadres centrifugés, il est nécessaire
de filtrer le miel afin de séparer les restes de cire. |
Moyen de contenir
les abeilles.
Le
tintement de l'airain les réjouit, et ce son les rallie; ce qui démontre
qu'elles ont aussi le sens de l'ouïe. Les ouvrages achevés, les petits éclos, toutes
leurs fonctions remplies, elles se livrent alors aux exercices d'usage.
Répandues dans la plaine, élevées dans les airs, elles volent en tournoyant, et
ne rentrent que pour le repas. Leur vie la plus longue, si elles ont le bonheur
d'échapper à tous les ennemis, à tous les accidents, est de sept ans en tout.
On prétend que jamais ruche n'a duré plus de dix ans. Suivant quelques auteurs,
les abeilles mortes, gardées pendant l'hiver à la maison, exposées ensuite, au
soleil du printemps, et échauffées pendant un jour dans la cendre de figuier, sont
rappelées à la vie.
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On vide tout le miel dans le réservoir
où il va se conserver pour être
consommé au fur et à mesure. |
Moyen de
repeupler les ruches.
Si
l'espèce est totalement détruite, on peut la reproduire avec le ventre d'un bœuf
tué récemment, et enterré dans le fumier. Suivant Virgile, le corps d'un jeune bœuf,
qu'on a fait expirer sous les coups, produit des abeilles, comme le corps d'un
cheval produit les guêpes et les frelons, et celui d'un âne les scarabées, la
nature changeant certains animaux en d'autres. Mais on voit l'accouplement de
ces dernières espèces ; néanmoins elles élèvent leurs petits presque à la
manière des abeilles.
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Tout de suite, le miel est prêt à être consommé.
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Ci-dessus: Loïc DAVID, instituteur à la retraite et apiculteur. Le miel peut être conservé dans les flacons et être vendu en toute garantie.
Les apiculteurs particuliers sont obligés d'avoir un numéro de SIRET
et se font inspecter par les responsables de l'administration. | | | |